Le retour de Madagascar à la démocratie s’avère cahoteux

ecapital
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Touchant à la conclusion de la longue saga des élections présidentielles malgaches, considérées comme la première étape très attendue dans la résolution de plusieurs années de crise politique quionta secoué l'île, la Commission électorale du pays a déclaré le 10 janvier 2014 que Hery Rajaonarimampianina, le ministre des Finances du gouvernement de transition, est le gagnant du second tour de vote.

Mais l'adversaire Jean-Louis Robinson a immédiatement crié à la fraude, et au milieu de l'incertitude liée aux résultats de l'élection, l'armée a tiré sur les étudiants qui manifestaient à Mahajanga, la plus grande ville côtière de l'ouest de Madagascar. Un étudiant est mort et 11 autres blessés.

Affiche de la campagne de Hery Rajaonarimampianina – Domaine public
Affiche de la campagne de Hery Rajaonarimampianina – Domaine public

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On ignore si ces manifestations étaient liées à la décision imminente de la CES. 

Le dernier président démocratiquement élu du pays, Marc Ravalomanana, a été renversé par un coup d’État soutenu par l'armée en 2009. Après de multiples retards, les élections ont finalement eu lieu le 25 octobre 2013 et un second tour le 20 décembre. Beaucoup ont constaté que le scrutin était une bataille par procuration entre le Président déchu Ravalomanana et le Président de la Transition Andry Rajoelina, qui a renversé Ravalomanana par un coup d’État. Le Président élu Rajaonarimampianina était le ministre du Budget et des Finances de Rajoelina ; Robinson a été ministre dans le gouvernement de Ravalomanana.

Selon la Commission électorale malgache (CENI-T), avec 98,89 % des bulletins dépouillés, Rajaonarimampianina a remporté le second tour avec 53,5 %, contre les 46,5 % de Robinson.

Cependant, Robinson conteste la décision et a envoyé les preuves d'une prétendue fraude massive à la Cour Électorale Spéciale (CES), en revendiquant avoir en réalité obtenu 56 % du total des voix. La CES est la seule institution qui peut prononcer le vainqueur définitif de l'élection, et doit rendre une décision au plus tard le 19 janvier.      

Étudiant blessé lors des manifestations à Mahajanga via @RavakaN sur Twitter. Utilisée avec autorisation.
Étudiant blessé lors des manifestations à Mahajanga via @RavakaN sur Twitter. Utilisée avec autorisation.

Madonline, un blog communautaire malgache, fournit plus de détails sur lescontestations de Jean-Louis Robinson concernant les résultats de l'élection :

"Les plaintes et requêtes déposées par le camp Robinson vont a priori donner du fil à retordre aux juges électoraux. Une requête de presque 120 pages aux fins de disqualification du candidat Rajaonarimampianina a été également déposée. Un parlementaire de l’opposition a en outre déposé une requête pour annulation pure et simple du scrutin du 20 décembre en raison de trop nombreux cas d’anomalies recensés à travers le pays. Les autres requêtes visent essentiellement l’annulation de voix obtenues par le candidat soutenu par le régime de Transition. Ce qui devrait renverser complètement la tendance. La Cour Electorale Spéciale publiera les résultats définitifs du second tour de la présidentielle en mi-janvier. La Commission électorale nationale publie les résultats provisoires le 3 janvier. Concernant les législatives jumelées au second tour de la présidentielle, des requêtes ont été également déjà déposées auprès de la CES. Des candidats indépendants et issus de l’opposition dénoncent aussi des irrégularités commises en faveur des candidats soutenus par le président de la Transition, Andry Rajoelina. Ce qui a provoqué, par exemple, des manifestations de rue à Morondava, à l'Ouest du pays."

Affiche de la campagne de Jean-Louis Robinson – Domaine public
Affiche de la campagne de Jean-Louis Robinson – Domaine public

Ce qui rend la décision imminente de la CES encore plus difficile est la récente résurgence de documents impliquant le prochainement déclaré président élu dansl'exploitation illégale du bois de rose. Nouvelle peu réjouissante supplémentaire défavorable au retour de Madagascar à la démocratie, la réapparition possible de la peste sur l'île :

Madagascar compte la moitié des cas documentés de peste dans le monde.

Néanmoins, il y a un bon côté pour l'île. Madagascar est à nouveau acceptée par la communauté internationale, qui a approuvé les élections, les jugeant libres et équitables. Et le retour de Madagascar au sein de la communauté internationale devrait mettre fin à son isolement et conduire au retour de l'aide extérieure. En effet, pendant la période de transition, comme l'a fait remarquer Brian Klaas sur africanarguments.org :

"Pratiquement aucun progrès n'a été réalisé depuis quatre ans avec l'économie qui se contracte considérablement. Le progrès politique et économique est resté bien limité depuis. Un nouveau stade de rugby est l'une des seules réalisations concrètes du régime “transitoire” dirigé par Andry Rajoelina, qui est sur le point de terminer un mandat électoral complet.
…Comme la reconnaissance internationale afflue, l'aide internationale le peut également—un pilier essentiel du développement et du budget de l’État pour l'île extrêmement appauvrie.  Les donateurs sont désireux de revenir et de débloquer les paiements tant attendus prévus pour les projets annulés pendant la crise."

Des signes du retour imminent de Madagascar au sein de la communauté internationale sont observés:

Namibie a dépêché un envoyé à Madagascar pour la réintégrer dans la Communauté de développement de l'Afrique australe.

Les élections ne se sont peut-être pas déroulées harmonieusement comme le label “libre et équitable” fait croire. Un regard sur les tweets et les blogs se lit comme une litanie de plaintes par les électeurs qui ne pouvaient pas voter, ou qui ont vu ou suspecté des irrégularités. Certains citoyens organisent déjà des pétitions pour demander un dépouillement transparent et public des bulletins de vote. D'autres blogueurs, comme Fidy, sont résolument positifs :

"Pour la première fois dans notre histoire, la commission électorale a des membres choisis parmi la société civile (de hauts fonctionnaires, des avocats, des journalistes, des enseignants ou des magistrats) et parmi tous les partis politiques qui ont pris part à la phase de Transition. La CENI-T a également fortement bénéficié de l'appui des organisations internationales telles que l'UE, l'ONU ou la SADC qu'il s'agisse de questions financières ou de mise en œuvre. Pour la première fois dans notre histoire, nous avons un site Web spécifique avec des mises à jour régulières des votes au niveau national, régional, du district et des bureaux de vote. Le niveau de transparence donné à nos citoyens n'a jamais été aussi élevé. On se rappelle la façon dont les élections de 1997, 2001, ou 2006 (voir page 30 du rapport) se sont déroulées. Pour la première fois dans notre histoire, grâce à internet et au cadre de données que la CENI-T nous fournit, nous avons des blogueurs qui ont fait un excellent travail en faisant des projections lors du premier tour de scrutin. Et les résultats finaux étaient très proches de ces extrapolations — un exemple frappant qui démontre qu'il n'y avait aucune anomalie significative dans le décompte du premier tour. Mathématiques pures. Aucune politique."

Le nom du potentiel président élu, Rajaonarimampianina, s'avère un virelangue pour les présentateurs du journal et les aficionados d'actualités dans le monte entier. TheGuardian a écrit:

"Le nom de famille à lui seul accumule un nombre impressionnant de 19 caractères et (nous pensons) neuf syllabes. Son nom complet – Hery Martial Rakotoarimanana Rajaonarimampianina – s'élève à 44 caractères. On pourrait supposer que répéter trois années dans l'enseignement primaire juste pour maîtriser l'orthographe de son nom aurait été un obstacle pour Rajaonarimampianina dans sa vie (nous n'avons aucune preuve que cela s'est passé) mais sur la base de notre histoire, il semble qu'un long nom peut être bon pour une carrière politique."

Des utilisateurs de Twitter ont également ajouté: 

Quel nom ! Je suis contente de ne pas travailler dans le journal audiovisuel – Rajaonarimampianina remporte les élections présidentielles de Madagascar.

Slate Africa apprend à ses lecteurs comment prononcer les noms malgaches et explique pourquoi ils sont si longs.

"Le linguiste Narivelo Rajaonarimanana souligne que «le nom malgache n'est pas une étiquette. C'est un souhait, un destin, une parole qui contredit un mauvais destin, un souvenir du jour de naissance, une combinaison de noms de parents ou d'ancêtres». « L'astrologie joue un rôle important pour l'attribution des noms », note Rajaonarimanana. Cette pratique est très vivace en milieu rural, où l'on peut faire appel à un ombiasy (devin) et où l'on a également souvent recours à l'horoscope. Une étude réalisée par Samuel Rasolomano et publiée en 1905 par le journal Mitari-dàlana recense 24 sources d’inspiration pour les noms malgaches. Parmi elles, l’expression du caractère (physique ou moral), de l’amour filial (vœu d’un amour parfait, d’avoir un remplaçant etc.), le prestige (richesse, honneur etc.) sont les plus fréquentes, avec l'astrologie. Ainsi, « les noms sont à usage mnémotechnique pour se souvenir du destin d'une personne »."

Mialy Andriamananjara, pour Global Voices Ecrit par Mialy Andriamananjara        Lalatiana Rahariniaina, pour Global Voices Traduit par Lalatiana Rahariniaina

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