Gabon: L’ex-directeur de Cabinet du président au coeur d’une opération anticorruption

Afriquinfos Editeur
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Le président Ali Bongo et son épouse Sylvia Bongo assistent au défilé de la fête nationale à Libreville, le 17 août 2019 au Gabon (AFP).

La vaste opération anticorruption lancée récemment au Gabon contre son entourage a rattrapé l’ancien tout-puissant directeur de cabinet du président Ali Bongo Ondimba, le Franco-Gabonais Brice Laccruche Alihanga, interpellé mardi.

Celui qui, il y a encore quelques semaines, avait considérablement irrité une bonne partie des caciques du pouvoir en menant, en l’absence de M. Bongo convalescent après un accident vasculaire cérébral (AVC), une tonitruante « tournée républicaine » dans tout le pays, avait déjà été écarté à la surprise générale de la présidence début novembre. Il avait été nommé dans la foulée à la tête d’un ministère sans réel pouvoir. Son limogeage avait coïncidé avec le lancement d’une opération anticorruption, baptisée « Scorpion », qui avait abouti à l’interpellation de plus de vingt de ses proches pour des détournements présumés de fonds publics notamment. 

Ecarté définitivement du gouvernement lundi soir lors d’un remaniement qui a également purgé le cabinet de ses derniers proches, M. Laccruche Alihanga a finalement « été interpellé ce matin (mardi) à son domicile », a déclaré à l’AFP le procureur André Patrick Roponat. « Il est actuellement entendu » par les enquêteurs, a ajouté le magistrat dans l’après-midi.

– « Chasse aux sorcières » –

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« Nous assistons à une chasse aux sorcières, les dossiers ne sont pas consistants », a réagi auprès de l’AFP l’avocat de M. Laccruche, Anges Kevin Nzigou, qui s’inquiète d’une violation des droits de son client, affirmant qu’il « n’a même pas été informé des motifs de son arrestation ». Du côté du la présidence, on appelle à « dépolitiser » l’enquête. « Quelle que soit votre place, s’il y a des soupçons, il n’y a pas d’impunité », a déclaré mardi le nouveau porte-parole, Jessye Ella Ekogha. Lundi soir, le Premier ministre, Julien Nkoghe Bekale, avait souligné au nom du chef de l’Etat, l’importance de s’entourer d' »hommes et de femmes alliant compétence, expérience, intégrité et loyauté ». Mardi matin, la police gabonaise a également arrêté deux anciens ministres limogés la veille, réputés très proches de M. Laccruche. Il s’agit de Tony Ondo Mba, ex-ministre de l’Energie, et de Noël Mboumba, qui détenait le portefeuille très convoité du Pétrole, dans ce pays qui en est riche. Les trois ex-ministres « ont été abondamment cités par des personnes actuellement en détention dans des faits de détournements de deniers publics, de concussion et de blanchiment de capitaux », a assuré le procureur Roponat.

Agé de 39 ans, M. Laccruche Alihanga, nommé par M. Bongo il y a deux ans, occupait jusqu’à début novembre le poste de directeur de cabinet de la présidence. Son influence n’avait cessé de croitre au fil des mois, plus particulièrement après l’AVC de M. Bongo fin octobre 2018. Ces dernières semaines, à la faveur d’une amélioration de son état de santé, Ali Bongo Ondimba, s’est employé à montrer qu’il avait repris fermement les rênes du pouvoir. Il a procédé à de nouvelles nominations à la tête de l’appareil judiciaire, sécuritaire et au sein des services de renseignement. Au même moment, de nombreuses personnalités proches de M. Laccruche Alihanga ont été interpellées.

« En tout, et sans compter les interpellations de ce matin (mardi), il y a bien eu 13 personnes placées sous mandat de dépôt » depuis le début de l’opération anticorruption, selon M. Roponat. « Deux sont en liberté provisoire, six ont été mises hors de cause » et le frère de l’ex-directeur de cabinet, Grégory Laccruche, « est toujours en garde à vue », selon le magistrat.

– Pétrole, maisons et fonds publics –

La justice s’intéresse notamment à la Dupont Consulting Company, une société privée administrée par Grégory Laccruche, la soupçonnant d’avoir détourné de l’argent public à l’occasion de contrats avec l’entreprise publique Gabon Oil Company (GOC), dont le directeur général, Patrichi Tanasa, incarcéré jeudi, est lui aussi un proche de Brice Laccruche Alihanga. Selon le journal progouvernemental L’Union, en deux ans, 85 milliards de francs CFA (129 millions d’euros) se sont ainsi « volatilisés » au sein de la GOC. Le ministre déchu de l’Energie, Tony Ondo Mba avait, par le passé, été employé par la Dupont Consulting, selon L’Union.

La justice s’intéresse également à d’autres fonds publics qui auraient pu être détournés, ainsi qu’à des biens acquis – maisons et voitures – par les personnes mises en cause, selon le procureur. L’ancien porte-parole de la présidence, Ike Ngouoni, considéré comme le bras droit de M. Laccruche, a été placé en détention provisoire vendredi. Il est accusé de complicité de détournement de fonds. Régulièrement pointé du doigt par les ONG internationales pour une corruption endémique, le Gabon est dirigé par Ali Bongo Ondimba depuis son élection en 2009, succédant à son père Omar Bongo, déjà à la tête du pays depuis 42 ans.