Reportage/Des excréments à la base d’un « miracle » pour des cultivateurs kényans

Afriquinfos Editeur
8 Min de Lecture
Les vaches laitières de Josphat Muchiri Njonge, un cultivateur kenyan qui utilise leur fumier comme engrais pour ses caféiers, le 2 août 2019, à Kiambu (AFP).

NAIROBI (© 2019 AFP)En 35 ans de travail de la terre, Josphat Muchiri Njonge n’a jamais vu ses caféiers porter autant de fruits sur sa parcelle à flanc de colline dans les faubourgs de Nairobi. Il en va de même pour les bananiers et les avocatiers de la ferme familiale d’un hectare située à Kiambu. Sans oublier les choux frisés, épinards, maïs et amarantes. L’arme secrète de ce cultivateur kényan de 67 ans se cache sous terre.

Là, dans un réservoir en briques, le fumier de ses 10 vaches laitières est transformé en un riche engrais organique qui, dit-il, enrichit le sol et alimente les récoltes. Ce n’est pas le seul avantage pour Njonge et des dizaines de milliers d’autres petits exploitants agricoles à travers l’Afrique qui bénéficient des « biodigesteurs ». Ces réservoirs en maçonnerie ou en plastique moderne, agissent comme une sorte d’estomac mécanique magique. Dans l’obscurité, des micro-organismes naturels décomposent le fumier en l’absence d’oxygène pour créer du compost et du biogaz, une source d’énergie propre et renouvelable.

Le Kenya possède plus de biodigesteurs que n’importe quel autre pays d’Afrique – un « poo power » (énergie du caca) utilisé pour faire fonctionner un peu tout, des réchauds de cuisine aux équipements agricoles, en passant par les chargeurs téléphoniques et les chauffe-eau pour douches. Il s’agit d’une utilisation intelligente des terres, ce qui, selon le principal groupe scientifique de l’ONU sur le changement climatique, sera crucial pour maintenir sur la planète des températures à des niveaux plus acceptables tout en nourrissant une population en hausse. Dans un rapport spécial publié cette semaine, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a expliqué en détail comment l’agriculture intensive a dégradé l’environnement – une crise qui exige de repenser en profondeur la façon dont les aliments sont produits et les terres utilisées. L’agriculture et la déforestation produisent près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre, le méthane émis par le bétail contribuant de manière importante au réchauffement de la planète. Le biogaz est fondamentalement neutre en carbone et contribue à réduire les émissions de combustibles fossiles en remplaçant le bois de chauffage et le charbon de bois traditionnellement brûlés dans les cuisines d’Afrique. L’énorme demande pour ces ressources bon marché a ravagé les forêts du Kenya et dégradé ses sols.

Leurs émanations tuent également, avec 15.000 décès par an dus à la pollution à l’intérieur des bâtiments, selon les chiffres du gouvernement kényan. « C’est très pratique pour moi. J’utilisais du bois de chauffage, du charbon de bois, mais je n’en utilise plus », explique Anne Mburu, une agricultrice de Kiambu, qui dépensait 2.000 shillings (20 à 17 euros) par mois en bois de chauffage avant d’installer un digesteur moderne près de son étable.

- Advertisement -

– L’énergie de l’avenir –

Le biogaz comble une lacune en Afrique de l’Est, où les économies en développement connaissent une croissance rapide mais où l’énergie est coûteuse, peu fiable ou inexistante. Cette technologie existe au Kenya depuis les années 1950 mais était restée négligée jusqu’à ce que le Programme de biogaz du Kenya (KBP) commence à promouvoir les efforts visant à développer et commercialiser le secteur vers 2009. Depuis, plus de 100.000 personnes ont eu accès au biogaz dans leurs foyers, plus que partout ailleurs sur le continent, selon le KBP. L’Éthiopie rivalise avec le Kenya dans la production de biogaz, tandis que des initiatives s’accélèrent en Ouganda, en Tanzanie et au Rwanda. Pour Tim Mungai, directeur du développement commercial chez KBP, il existe « d’énormes opportunités » de croissance sur le seul marché kényan, où deux millions d’agriculteurs élèvent du bétail chez eux. « Le biogaz fera partie du mix énergétique de l’avenir », a-t-il déclaré à l’AFP. Des entreprises locales et étrangères – dont SimGas (Pays-Bas), Sistema (Mexique) et HomeBiogas (Israel) – apportent de nouvelles technologies en Afrique de l’Est.

Des modèles plus simples, souvent fabriqués à partir de plastique recyclé au lieu de briques et de mortier traditionnels, peuvent être installés en quelques heures et générer du gaz au bout d’une journée. Les fabricants testent des matières premières autres que le fumier de vache ordinaire, qui est mélangé avec un peu d’eau pour éviter que le système ne se bouche. Au Kenya, certains établissements d’enseignement utilisent pour leurs cuisines des excréments humains et le produit des latrines des bidonvilles de Nairobi est transformé en énergie verte. D’autres pillent les restes de nourriture et les excréments d’abattoirs, tandis que des serres le long du lac Naivasha, où fleurissent les roses mondialement connues du Kenya, produisent également de l’énergie à partir des déchets des fleurs.

– Besoin d’adaptation – 

Dans toute l’Afrique, les agriculteurs apprennent à s’adapter à la réduction des surfaces arables, victimes de l’urbanisation. La désertification, la déforestation et la dégradation des sols pèsent également sur les terres et les agriculteurs. Dans la région vallonnée de Kiambu, près de Nairobi, caféiers et béton se disputent l’espace. Les terres agricoles ont rapidement diminué à mesure que la capitale s’étendait, les habitations venant jouxter des plantations destinées à nourrir une population kényane en pleine expansion. « Les agriculteurs doivent s’adapter en vue d’une agriculture respectueuse du climat », dit M. Mungai. Les boues issues de la production de biogaz sont un atout supplémentaire pour la régénération des terres. Elles servent d’aliments pour animaux, à élever des vers de terre, remplacer les pesticides chimiques et rétablir les niveaux d’humus dans les sols surexploités. Njonge, le planteur de café, ne jure que par cela. Sa production a doublé en moins de trois ans et la qualité de ses grains s’est améliorée. Outre des rendements plus élevés et des économies sur les engrais et le bois de chauffage, cela lui permet aussi d’aider un de ses fils en alimentant en biogaz sa maison voisine. Tout cela grâce à ses vaches. « C’est comme un miracle », sourit-il.

Un fermier kenyan inspecte ses caféiers, le 2 août 2019 à Kiambu (AFP).