Mohammed VI, 20 ans de règne tiraillé entre continuité et modernité

Afriquinfos Editeur
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Le roi Mohamed VI arrive au Palais royal à Casablanca, le 11 décembre 2017 (photo, AFP).

RABAT (© 2019 AFP) – Héritier discret d’un pouvoir absolu, Mohammed VI, qui fête mardi ses 20 ans de règne, incarne la continuité stricte de la monarchie marocaine tout en affichant une image d’homme moderne ouvert au changement.

Quand il monte sur le trône, à 35 ans, le public sait peu de choses de lui (photo, AFP).

La communication inédite du 23e souverain de la dynastie alaouite a longtemps reflété cette dualité, avec à la fois des photographies ultra-officielles en costume strict ou djellaba traditionnelle et des posts décontractés sur les réseaux sociaux, aux côtés d’artistes ou de quidams rencontrés à l’étranger. Dans une région agitée de soubresauts politiques, son règne entamé le 23 juillet 1999 à la mort de son père, Hassan II, reste marqué par une grande stabilité, volontiers mise en avant pour convaincre pays alliés, investisseurs et touristes. Une politique sécuritaire musclée, ouvertement revendiquée au nom de la lutte antiterroriste après les attentats de Casablanca (33 morts en 2003) et de Marrakech (17 morts en 2011), a perduré sous son règne. Et si ces dernières années les réseaux sociaux ont fait bouger les lignes de la liberté d’expression, la presse traditionnelle, sous perfusion de l’Etat, reste étroitement surveillée. La réforme constitutionnelle menée en 2011, à l’époque troublée du Printemps arabe, alors que des milliers de Marocains réclament dans la rue plus de démocratie, a théoriquement renforcé les pouvoirs du Premier ministre.

Dans les faits, le monarque a conservé des pouvoirs exécutifs très larges, avec la haute main sur les Affaires étrangères, la Défense, la sécurité et les secteurs clés de l’économie.

Le roi Mohammed VI du Maroc lors d’une visite aux Pays-Bas le 30 mars 2016 (photo, AFP).

– Grands chantiers –

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Ainsi, le roi lance et inaugure les grands chantiers – le port de Tanger Med, l’immense centrale solaire Noor ou la nouvelle ligne de TGV. Il impulse et pilote les orientations stratégiques du pays, comme l’ouverture tout azimut sur l’Afrique, avec la réintégration de l’Union africaine en 2017. Sa diplomatie reste centrée sur les efforts pour faire entériner le « plan d’autonomie » marocain du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole au statut non réglé. Sur le plan social, des mouvements de protestation ont marqué 2017 et 2018, notamment dans les régions défavorisées du Rif (nord) ou de Jerada (nord-est), avec des arrestations et des peines sévères de prison. Suit alors une grande réflexion sur le modèle de développement du pays. « Le modèle actuel ne permet plus de répondre aux demandes et besoins croissants des citoyens, ni de réduire les inégalités sociales », constate un message royal en février 2018.

Une réforme emblématique reste, en 2004, l’adoption d’un code de la famille renforçant le droit des femmes -sans toutefois répondre aux demandes des féministes. Sur le plan religieux, en tant que « Commandeur des Croyants », Mohammed VI défend un islam tolérant assurant la liberté de culte aux juifs et aux chrétiens étrangers.

La communication inédite de Mohamed VI a longtemps reflété cette dualité, avec à la fois des photographies ultra-officielles et des posts décontractés sur les réseaux sociaux, comme celui-ci, datant de 2016 (photo, AFP).

– Absences –

Manifestation pour une « économie alternative » à Jerada, dans le nord-est du Maroc, le 16 mars 2018 (photo, AFP).

Quand il monte sur le trône, à 35 ans, le public sait peu de choses de celui qui a grandi dans l’ombre d’un père autoritaire qu’il appelait « Majesté ». Sa biographie officielle le présente comme un homme « rompu aux lourdes tâches depuis son jeune âge » qui « pratique plusieurs activités sportives ». A ses débuts, comme son père, celui que les Marocains surnomment « M6 » multiplie les déplacements à travers son royaume, allant au contact des foules. Mais il séjourne aussi régulièrement à l’étranger, notamment en France où la famille royale possède des résidences et où il soigne ses problèmes de santé – il a subi une opération du coeur début 2018 liée à un trouble du rythme cardiaque et une chirurgie pour une lésion oculaire en 2017.

L’année dernière, ses fréquentes absences ont suscité des rumeurs sur les réseaux sociaux où, chose inédite, des voix ont critiqué ses « choix politiques », son « train de vie » ou ses « longs séjours » à l’étranger. Le roi a ensuite repris un rythme soutenu d’apparitions officielles et ses selfies se sont raréfiés sur les réseaux sociaux. En rupture avec la tradition, Mohammed VI s’est longtemps affiché avec la princesse Lalla Salma, une ingénieure de la classe moyenne qu’il a épousée en 2002 lors d’un mariage très médiatisé.

La princesse a toutefois subitement disparu de la scène officielle fin 2017, n’apparaissant plus sur les photographies familiales avec ses enfants Moulay Hassan, 16 ans, et Khadija, 12 ans. S’il n’y a jamais eu de communiqué de divorce, les médias marocains parlent désormais de l' »ex-épouse » du roi. En 2014, le roi figurait dans le classement Forbes des hommes les plus riches du monde avec une fortune estimée à plus de 2,5 milliards de dollars via la holding royale SNI rebaptisée « Al-Mada » et transformée en fonds d’investissement à capitaux privés.

Mohamed VI et Emmanuel Macron lors de l’inauguration de la première liaison ferroviaire à grande vitesse du Maroc, le 15 novembre 2018 à Rabat (AFP).